Ecologie du Carcassonnais des Corbières et du Littoral Audois

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M. Arditi : « Au début des années 80, peu de gens connaissaient cette usine »

Il y a 60 ans, Narbonne devenait la porte d’entrée du nucléaire en France avec la mise en service de l’usine de raffinage d’uranium située à Malvési. Militante écologiste au sein de l’association ECCLA dont elle est la présidente, Maryse Arditi, docteur en physique nucléaire, a suivi au plus près l’activité de l’usine depuis les années 80.

« Les industriels tant qu’on ne les met pas sous pression, ils ne font pas grand-chose »

Au début des années 80, quand j’ai tracté pour la première fois sur l’usine, au marché, les trois quarts des gens me demandaient de quoi il s’agissait. Quand je suis arrivée à Narbonne, j’ai eu du mal à trouver des gens qui connaissaient cette usine. » Pour Maryse Arditi, présidente d’Écologie du Carcassonnais des Corbières et du Littoral Audois (ECCLA), en 60 ans d’existence, l’usine de raffinage de Malvési n’a pas, pendant longtemps, suscité les passions narbonnaises.

Dans les années 60, la contestation contre le nucléaire se porte avant tout « sur l’usage militaire ». « On faisait des pétitions contre le nucléaire militaire, pas le nucléaire civil. On n’avait pas poussé la réflexion en se disant que les deux étaient peut-être liés », raconte Maryse Arditi, en se souvenant de son compagnon Pitch Bloch, chimiste de formation et engagé sur ce terrain-là. Maryse Arditi, docteur en physique nucléaire et maître de conférence à la faculté, va commencer à se poser des questions avec l’annonce du plan Messmer en 1974 qui opte pour le tout nucléaire en matière de production d’électricité. « Il prévoyait 100 réacteurs à l’horizon 2000. Cela m’a interpellée. Je suis devenue beaucoup plus réticente. Et quand le groupement des scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire s’est formé, avec des scientifiques de renom qui disaient qu’il fallait freiner, j’ai adhéré. »

Maryse Arditi se souvient que dès 1973, EDF prospectait partout. « Il y a même eu un projet de centrale nucléaire en 1973 à Port-La Nouvelle. Mais l’opposition a été forte. Jusqu’à l’an 2000, il y a eu une banderole sur la mairie : Pas de nucléaire à Port-La Nouvelle. Mais cette contestation n’a pas contaminé Narbonne, où on procède au raffinage de l’uranium. » Il faut dire qu’à l’époque les inspecteurs de la Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement contrôlaient l’usine mais il n’y avait pas d’information en direction des riverains et des citoyens. « Quand Comurhex prenait des initiatives, c’était surtout de la communication. » Au début des années 90, les comités locaux d’information et de concertation voient le jour. « On a pu connaître les courbes de production et de rejets dans l’air et dans l’eau de l’usine à partir de 1992. Et l’idée de surveiller au plus près cette usine et ses accidents est venue. On savait qu’il y avait eu des fuites sur des wagons, on avait aussi un domaine qui retrouvait son blé roussi. » Et Maryse Arditi de confier : « Les industriels tant qu’on ne les met pas sous pression, ils ne font pas grand-chose. »

À partir de là, plusieurs éléments marquants, notamment une succession d’incidents et d’accidents, vont jalonner la vie publique de l’entreprise. Maryse Arditi en fait ressortir plusieurs. Suite à de fortes pluies, la rupture des digues des deux plus anciens bassins de décantation, en 2004, va commencer à faire bouger la population. « C’est un premier tournant », note la militante écologiste. Des boues et des solutions nitratées issues du procédé de purification de l’uranium naturel s’étaient répandues en contrebas de la digue. Toutefois, quand, en 2009, la direction d’Areva demande à augmenter de 50 % sa capacité production sur Malvési, « l’enquête publique n’a pas mobilisé beaucoup de personnes ». L’association ECCLA s’élève contre cette augmentation et elle va se battre avec le réseau Sortir du nucléaire pour faire classer l’ensemble du site comme installation nucléaire de base (INB). « Seuls les deux bassins B1 et B2 ont été classés INB. C’est la conséquence de la rupture des digues. L’autorité de sûreté nucléaire a bien vu comment cela s’était passé. Mais l’usine aurait pu être classée INB car on sait qu’il y a des traces de plutonium. »

Maryse Arditi rappelle que « ces bassins contiennent des produits radioactifs mais aussi, outre de l’uranium et du thorium, des produits comme du plutonium et d’autres analogues qui signent (ce qui n’est plus contesté aujourd’hui) que de l’uranium issu des centrales nucléaires a été retraité à Narbonne ».

L’usine, si discrète jusque-là, fait parler de plus en plus d’elle. À vrai dire jusque dans les années 2000, elle n’était pas dans le radar des antinucléaires. Le focus était mis sur les mines d’uranium, l’enrichissement, les réacteurs et le traitement des déchets. Mais entre mines et enrichissement, il y a la conversion. « À partir de 2009, cela évolue », constate Maryse Arditi. Et récemment, le projet de construction d’une unité de traitement des nitrates (TDN) des bassins d’évaporation et de décantation et le projet NVH (nouvelle voie humide) de production d’un maximum de 300 tonnes de dioxyde d’uranium vont provoquer une contestation populaire sans précédent.

Ch. P.

On jouait au milieu des bulldozers

Sandrine Camps a vécu dans un domaine à proximité de l’usine de raffinage d’uranium d’Orano (anciennement Comurhex). En mars 2004, à la suite de la rupture des digues des bassins de décantation, les boues se sont déversées au pied de sa propriété.

À l’origine, on ne voyait pas l’usine. Elle s’est étendue au fil des années. Jusque dans les années 70 et le début des années 80, elle restait dans son coin. » Sandrine Camps a vécu à quelques encablures de l’usine de raffinage d’uranium, dans le domaine de ses grands-parents qui est dans la famille depuis les années 30, au pied du Mont des Lauriers (Montlaurès). « Pour les Narbonnais, cette usine était loin. La ville ne s’était pas étendue comme elle l’est aujourd’hui. Il n’y avait pas encore de lotissements qui ont fait que la ville s’est rapprochée. »

Sandrine Camps se souvient de « travaux titanesques ». « On se faisait engueuler car on jouait au milieu des bulldozers. Puis on a commencé à voir des fûts. On pouvait accéder aux bassins. Il n’y avait pas de protection. »

Le 30 mars 2004, la vie de la famille va définitivement basculer. Les digues des bassins B1 et B2 cèdent, déversant des boues dont on ne sait pas alors ce qu’elles contiennent au pied de la propriété de Sandrine Camps qui y vit avec ses deux enfants et son compagnon. « Je l’ai appris par la radio. Il y avait des boues partout. Au bout de deux jours, ils nous ont dit que tout allait bien mais on n’a jamais eu d’analyses de ces boues. » On a appris plus tard que ces bassins contenaient des produits radioactifs, des produits comme du plutonium et d’autres analogues, entraînant la classification installation nucléaire de base de ces bassins. Débute pour Sandrine Camps un long combat, épuisant nerveusement, pour ne pas être empoisonnée. « Les camions sortaient et rentraient plein de boue. Ils nettoyaient les roues devant chez nous au jet d’eau. »

Sandrine Camps reconnaît s’être sentie seule dans cette lutte. « Il n’y avait pas grand monde derrière nous. Pendant 50 ans, cela a été dégueulasse et personne n’a rien dit », s’énerve-t-elle. Seule aussi parce « tu affrontes l’État ». Au final, elle a trouvé un accord avec Areva (aujourd’hui Orano) qui est devenu propriétaire du terrain et du domaine. « Dès le départ, quand cela s’est écroulé, ils ont voulu nous racheter. » Mais la cicatrice n’est toujours pas refermée pour celle qui a passé son enfance dans ce petit coin de paradis. « Je suis en colère car ce site c’est Montlaurès, avec la source de l’Oeillal qui est extraordinaire, un micro-écosystème unique. C’est le berceau de Narbonne, c’est chargé d’histoire. Dans tous les musées de Narbonne, il y a des vestiges de Montlaurès. Et on te dit, tu dois partir pour laisser la place à cette merde. »

Ch. P.

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